Warner : Content que vous soyez de retour, Rick. La première fois que nous nous sommes rencontrés, nous avions exprimé le souhait d'encourager les concepteurs à passer plus de temps à échanger avec leurs fournisseurs de cartes pour en savoir plus sur la façon dont les cartes sont fabriquées. Quels autres conseils donneriez-vous aujourd'hui à un ingénieur ou un concepteur de circuits imprimés ?
Hartley : Ce que vous rappelez est important. Plaçons-nous à nouveau dans les années 77-78. Lorsque je suis devenu concepteur de circuits imprimés, l’un des fabricants qui fournissaient notre entreprise nous a invité à échanger, un autre concepteur de circuits imprimés de mon entreprise et moi-même, et nous a dit : « Nous comprenons que les ingénieurs de votre entreprise vous adorent parce que vous êtes tous les deux des ingénieurs qui avez choisi de devenir concepteurs de circuits imprimés », et nous avons souri et hoché la tête en signe de reconnaissance et indiquer que « Oui, nous sommes des gens merveilleux, nous le savons. » Puis il nous a regardé avant de dire : « Vous savez, peut-être que vous comprenez les circuits et la façon dont ils fonctionnent, mais vous ne savez rien sur la fabrication. En fait, vous êtes ignorants à ce sujet, c'est vraiment allucinant. Tout ce que vous concevez, eh bien, il nous est impossible de le fabriquer. » Mon ego a pris un coup. Il n’est pas tombé sur le plancher, il l'a traversé ! Il m’a fallu une semaine pour m'en remettre. Mais une fois que j’ai pu l'accepter, j’ai réalisé qu’il avait raison. Je ne savais rien sur la fabrication. Nous avons donc pris la décision d’embaucher Norm Einarson. Tous les anciens concepteurs qui lisent cette interview le reconnaîtront et souriront en lisant, parce qu’à l’époque, Norm était un dieu dans le domaine des circuits imprimés. C’était un fabricant qui comprenait la conception. Il a intégré notre société pour une semaine. La participation à sa semaine de formation était obligatoire pour tous ceux qui travaillaient en ingénierie. Il nous a fait comprendre notre impact sur la fabrication et l'impact que la fabrication avait sur notre travail.
Warner : Un instant vraiment incroyable et unique pour vous tous !
Hartley : C’était la meilleure semaine de formation de ma vie. Depuis, je suis abonné à plusieurs revues de fabrication car je veux connaître ce qui est nouveau, ce qui est à venir dans le monde de la fabrication. Je ne peux pas concevoir des circuits imprimés correctement sans tenir compte des processus que les fabricants utilisent.
Warner : Je sais que beaucoup de fabricants souhaiteraient que davantage de concepteurs adoptent cette approche proactive. C'est parfaitement logique.
Hartley : Oui, vous avez parfaitement raison. Et je voudrais aussi ajouter que si vous êtes ingénieur en électronique ou concepteur de circuits imprimés, si vous êtes impliqué d'une manière quelconque dans les décisions qui affectent la conception des cartes de circuits imprimés, vous devez comprendre les procédés: la fabrication des cartes, l’assemblage des cartes et les tests auxquels on les soumet, et l'impact que vous avez sur ces trois points.
Warner : Je suis totalement d’accord avec vous. Cela me touche d’autant plus que je viens du secteur de la fabrication et du montage électronique. Je n’ai jamais cessé de rencontrer des problèmes et des retards qui auraient pu être évités facilement si nous avions simplement eu une discussionavant que les choses ne deviennent problématiques.
Hartley : Une autre possibilité serait de faire travailler ensemble les concepteurs de circuits imprimés et les ingénieurs en électronique, afin que chacun comprenne ce que l’autre fait. Les ingénieurs ont besoin de réaliser combien la conception d'une carte est complexe parce que je pense que beaucoup d’entre eux ne le savent pas. Chacun doit bien comprendre la discipline de l’autre pour pouvoir collaborer efficacement. Quand ce n’est pas le cas, vous avez un environnement du genre « balance-le à l’autre gars », où l’ingénieur dit : « Voilà ton schéma, fais ce que tu as à faire. » Cela ne fonctionne pas très bien, je l’ai compris il y a des années. La plupart des ingénieurs que j’ai côtoyés chez L-3 et dans le secteur des télécommunications, et même ceux de la fin des années soixante-dix et quatre-vingt, collaboraient bien avec moi et j’ai toujours essayé de bien collaborer avec eux. Je suis sûr que n’importe lequel d’entre eux qui lira cet article lors de sa publication hochera la tête en disant : « Oui, nous avons bien travaillé ensemble. » C’est parce que nous nous comprenions bien. Et c’est important.
Warner : Ce qui semble être rare de nos jours. Quand ces deux disciplines ne travaillent pas ensemble, est-ce que cela crée des tensions ?
Hartley : Bien sûr. Cela devient « nous et eux », ce qui n’est jamais sain.
Warner : C’est parfaitement vrai. Donc, vous avez un troisième conseil, Rick ?
Hartley : Ne suivez pas aveuglement la note d'application des fabricants de composants sur la conception des circuits imprimés.
Warner : Vous avez dit cela à l’IPC APEX cette année, ce qui m’a fait rire !
Hartley : C’est vrai. Je commence tous les cours que j’enseigne par une citation de Lee Ritchey, une citation tirée de son cours de 1993. Quand j'ai entendu cela la première fois, j’ai rigolé, car je pensais que j’étais le seul au monde à avoir cette attitude. J’étais si content d’entendre un type vraiment bien informé faire une telle déclaration. La citation de Lee était : « Les notices d’application des CI devraient être présumées fausses jusqu’à preuve du contraire. » Il ne dit pas qu’elles sont systématiquement fausses, mais qu'un nombre suffisant d’entre elles le sont pour ne PAS les considérer comme correctes. Dan Beeker, un ami qui est ingénieur d’application chez NXP / QualComm, est convaincu qu'elles sont correctes. C'est ainsi qu'il dit dans ses cours : « Quand vous lisez un conseil relatif au circuit dans une note d’application, ce conseil est probablement correct. Mais en général les ingénieurs d’application ne comprennent pas la conception de circuits imprimés, et ils font des déclarations dans les notices d’application qui ne reposent pas sur la physique des solides, comme de diviser le plan de masse en petits morceaux et de mettre un morceau ici, un autre là et un autre là-bas. Ils disent de mettre le découplage dans des endroits totalement absurdes. Ils disent de ne pas utiliser des angles de 90 degrés. Ils font ces déclarations qui ne sont pas fondées sur la physique des solides. Et je ne dis pas que tous les ingénieurs d’application ont tort, je veux dire que bon nombre des notices d’application qui existent sont simplement très mal écrites en ce qui concerne les conseils pour la conception des circuits imprimés. Choisissez avec prudence ce que vous croyez !
Warner : C’est drôle. Je me souviens de vous avoir vu afficher cette citation dans votre salle de cours et j’avais plutôt souri. Cela semble paradoxal puisque nous comptons tous sur les fiches techniques.
Hartley : Les informations contenues dans les fiches techniques sont généralement correctes car elles vous donnent des données type timing, courant d’appel maximal et ce genre d'informations. Ce sont généralement des données tout à fait valides. Une chose que je souhaiterais que les fiches donnent, ce sont les temps de montée et de descente. Les données les plus importantes que les ingénieurs et les concepteurs ont besoin pour prendre des décisions intelligentes. La fréquence d’horloge, la fréquence à laquelle l’horloge est pilotée dans un circuit, n’a pas grand-chose, si ce n’est rien, à voir avec les fréquences où les choses tournent mal. Elle n’a presque rien à voir avec les problèmes de CEM et rien à voir avec les problèmes d’intégrité du signal. Les problèmes d’intégrité du signal et de CEM ont bien plus à voir avec les temps de montée et de descente. Mais la difficulté, c’est que ces temps sont quelque peu nébuleux. Ils ne sont pas faciles à cerner. Mais s’ils publiaient au moins les temps de montée et de descente qui correspondent aux pires conditions, les ingénieurs et les concepteurs sauraient à quoi s’attendre avec un CI donné lorsqu’ils conçoivent un circuit et une carte et qu’ils déterminent les fréquences importantes.
Warner : Pourquoi pensez-vous qu’ils ne publient pas ces données sur les fiches techniques ?
Hartley : Parce qu’elles ne sont pas faciles à déterminer.
Warner : Est-ce en raison de l’impact sur l’environnement ? Qu’est-ce qui les rend si obscures ?
Hartley : Les variations de température affectent les temps de montée et de descente, tout comme le chargement et les autres facteurs. Ces temps vont accélérer ou ralentir, selon les conditions. Les facteurs de perte au sein de la carte affectent également ces temps. Ces informations sont disponibles dans les modèles IBIS et SPICE. Les modèles sont au format ASCII, facilement lisibles. Lorsque vous utilisez le modèle dans un outil de simulation, comme Hyperlynx, ce modèle doit disposer du temps de montée et de descente pour déterminer avec précision le comportement des lignes de transmission. Donc, tout est là, il suffit de regarder.
Warner : C’est intéressant. Je ne savais pas cela. Très bien, voici ma question suivante : qu’aimeriez-vous que les entreprises de CAO électronique fassent différemment ? Ou, que font-elles maintenant qui aide ou gêne les concepteurs de circuits imprimés d’aujourd’hui ?
Hartley : C’est une bonne question. Je pense que tous les outils de CAO électronique que j’ai utilisé étaient, une fois que j’avais appris à m’en servir, assez performants. Il y a de nombreuses années, j’ai utilisé un outil appelé « Theda » de la société Incases. J’ai trouvé qu’il était horriblement difficile à utiliser, mais une fois que je l'ai eu maîtrisé, il était plutôt efficace. J’ai constaté qu’il en était de même pour Mentor Board Station, difficile à prendre en main, mais efficace.
J’ai trouvé que la version originale de P-CAD (Master Designer) était efficace, surtout que c’était le premier outil fonctionnant sur un PC, mais je ne l’ai pas trouvé convivial du tout. Pads PCB est sorti en 1985. Je l’ai trouvé très convivial dès le départ. Tous ces outils, une fois que j’avais appris à m’en servir, étaient efficaces. Le problème, c’est qu’ils ont tous des courbes d’apprentissage et des interfaces utilisateur très différentes. Certains d’entre eux ont été conçus par des personnes qui connaissaient vraiment le travail des concepteurs de circuits imprimés, d'autres ont été conçus par des programmeurs qui ne connaissaient rien à la conception de circuits imprimés. Ceux qui ont été conçus par des programmeurs en général ne sont pas faciles à utiliser parce qu’ils ne peuvent pas comprendre ce dont nous avons besoin. J’aimerais qu’ils prennent un peu de recul et se demandent : « Bien, que pourrions-nous faire pour améliorer l’interface utilisateur et la facilité d’utilisation de notre outil ? »
Dans les années 1990, Tango a acheté P-CAD et a restructuré l’outil entièrement avant de le renommer Accel. Une fois terminé, il fonctionnait plus comme PADS PCB que comme P-CAD Master Designer. Il était si convivial que la nouvelle version était magistrale. Quand je suis passé au secteur des télécommunications, Accel était l’outil de prédilection. Comme je ne l’avais jamais utilisé, je me suis assis avec le manuel et en trois jours, je le maîtrisais parfaitement. Finalement, l’outil a été rebaptisé P-CAD 2001 et plus tard 2003, etc. Un grand nombre des fonctionnalités de cet outil sont de nos jours incluses dans Altium.
Accel était ridiculement facile à maîtriser. J’ai trouvé que Pads était presque aussi simple. Au bout de six mois avec Board Station, je m'arrachais toujours les cheveux. Board Station, c'est de l’histoire ancienne, l'outil a été remplacé par Xpedition, qui fait partie du domaine de Mentor. Ses équipes ont fait du bon travail. J’aime les outils de Mentor, j’aime les outils d’Altium, j’aime de nombreux outils qui existent aujourd’hui mais j’aimerais que tous les développeurs fassent des efforts pour accroître la facilité d’apprentissage et la facilité d’utilisation de leurs outils. Je n’ai jamais utilisé les outils de Cadence, donc aucun commentaire.
Warner : Cela semble très logique. Que pensez-vous des modèles de licences ? Les modèles existants ne vous ont-ils jamais affecté, puisque vous travaillez pour les grands fabricants qui gèrent les acquisitions d’outils ?
Hartley : Chez L-3, les personnes de l’IT s’occupent de tous les problèmes de licence. Avant cela, je m’occupais de mes propres licences. Certains outils étaient très faciles à démarrer et à utiliser et leur licence était très facile à installer, mais certains outils ont été un cauchemar absolu. C’est un autre point que je pense que beaucoup d’entre eux devraient améliorer. Je sais qu’ils essaient de protéger leur logiciel. Je comprends ce besoin. Mais certaines sociétés ont trouvé comment le faire avec des licences simples à utiliser, alors que d’autres ont des licences très complexes et difficiles à utiliser. J’aimerais donc que ces derniers y pensent un peu plus.
Warner : Voilà un bon conseil. Finalement, je sais que vous avez fait partie du conseil d’administration du Comité du conseil des concepteurs de l’IPC, donc pourriez-vous nous dire comment et quand vous en êtes arrivé là ? Pourriez-vous nous dire aussi la valeur des conseils des concepteurs régionaux et les défis qu’ils devront relever ?
Hartley : Certainement. Je fais partie du conseil du comité des concepteurs de l’IPC depuis 1996 ou 97, soit une vingtaine d’années, depuis que Gary Ferrari m’a recruté. J’ai rencontré Gary pour la première fois en 93 à PCB West et nous avons immédiatement sympathisé. Quand le conseil des concepteurs a été créé, j’étais curieux à ce sujet et je lui ai demandé comment en créer un dans notre région et il m’a fourni les informations dont j’avais besoin, tout comme l’ont fait d’autres personnes de l’IPC. Il était très fortement impliqué à l’époque et il m’a beaucoup aidé. Pete Waddell de UP Media (une revue sur la conception, la fabrication et l’assemblage de circuits imprimés) a également été très utile. Pete a proposé d’envoyer notre lettre initiale de recrutement de membres à tous ceux qui se trouvaient dans un rayon d’environ 160 km autour de Columbus, Ohio, c'est-à-dire à tous les lecteurs qu’il avait dans cette région.
Warner : Pete n’a-t-il pas une expérience en conception ?
Hartley : Effectivement, Pete a été concepteur. Le Conseil des concepteurs d'origine se trouvait à Atlanta. Pete en faisait partie, donc il avait compris sa valeur et sa nécessité. En tout cas, j’ai été impliqué pendant une longue période. Nous avions une section de concepteurs dans le centre et dans le sud-ouest de l’Ohio, à partir de 93-94. À cette époque, l’idée prenait de l’ampleur. Notre conseil de concepteurs a été très actif pendant 12 ans. Notre modèle était différent de celui que vous aviez à San Diego et dans le comté d’Orange. Nous apprenions simplement les uns des autres. Nous comptions environ 30 à 40 membres réguliers et nous nous sommes réunis tous les mois pendant environ 12 ans. Deux de ces réunions annuelles étaient des célébrations, les dix autres réunions étaient dédiées à la formation : nous échangions nos connaissances. Le groupe comptait des fabricants, des ingénieurs en électricité et en électronique, et des concepteurs qui provenaient de tous les horizons du secteur.
Lors d’une ou de deux réunions chaque année, nous invitions un intervenant extérieur pour présenter un séminaire d’une journée.s Nous demandions à nos membres une somme modique ; d’ailleurs, n’importe qui pouvait y assister. Les non-membres payaient le double. En fait, nous demandions à chacun une petite participation afin de pouvoir verser à l’intervenant une indemnité pour le remercier d'avoir partagé son expertise et son temps. Après 12 ans environ, nous n'avions plus grand-chose à nous dire. Notre conseil de concepteurs est tombé en désuétude et il n'existe plus depuis 2005 environ.
Les avantages d’un conseil régional de concepteurs, c’est qu’il offre une occasion d’apprendre des choses nouvelles. C’est une chance pour les personnes qui ne peuvent se permettre d’aller à PCB West, qui n’ont pas les moyens ou le temps d’aller à l’IPC APEX ou de sortir acheter une centaine de livres comme je l’ai fait. Le principal avantage d’une réunion locale de concepteurs, c’est qu'il permet d'assister à une ou deux réunions par mois et d'apprendre des choses utiles pour résoudre les problèmes que l'on rencontre en tant qu’ingénieur ou concepteur de cartes. Cette formation a une valeur inestimable.
Warner : J’ai moi-même constaté au fil des ans que le réseau avait une valeur inestimable.
Hartley : À mon avis, le réseau est absolument essentiel – c’est en fait la clé du succès. Il y a beaucoup de gens qui veulent voir plus de formation en ligne. J’aime la formation en ligne, ne vous méprenez pas, mais je ne pense que rien ne peut remplacer un cours dans une salle où vous pouvez voir les gens et où les gens peuvent vous voir. Et puis il y a le réseautage pendant et après la formation. Vous avez raison, le réseau est extrêmement important. Ma carrière a tellement profité de ces contacts réels qu’il est difficile d’en mesurer la valeur.
Warner : Rien de remplace une interaction réelle à l'occasion de ces événements professionnels, au cours desquels, par ailleurs, j'ai eu la chance de vous rencontrer, Rick !
Hartley : Exactement, et regardez où nous en sommes aujourd’hui.
Warner : C’est vrai, j’ai bien de la chance de vous connaître et je ne saurais trop vous remercier d’avoir pris le temps de partager votre illustre expérience dans la conception de circuits imprimés et le génie électrique, ainsi que votre sagesse durement acquise sur un sujet très complexe.
Hartley : Tout le plaisir était pour moi, Judy.