L’article précédent exposait les principales difficultés liées à l’estimation du temps de lay-out de circuits imprimés. Ensuite, nous avons décortiqué un premier modèle d’approximation à un seul paramètre, simple et quantifiable. Nous allons maintenant nous focaliser sur d’autres modèles d’estimation à plusieurs paramètres.
Comme vu dans l’article précédent, de nombreux paramètres contribuent à la complexité du travail de routage et, par conséquent, au temps nécessaire à sa réalisation. En combinant les paramètres principaux et en les pondérant selon leur contribution relative, on sait obtenir des estimations plus précises. Le modèle proposé par Bazeghi et Renau1 nommé PCBComplexity consiste à prendre en compte à la fois le nombre de composants, leur densité (le taux d’occupation surfacique) et la densité moyenne des broches.
Les auteurs de la publication en question ont ainsi pu obtenir un écart-type de l’erreur d’estimation σ égal à 0.20, donnant lieu à un intervalle de confiance à 90 % de 0.72 à 1.39. Ce dernier est exprimé sous la forme d’un facteur multiplicatif par rapport au temps de routage constaté dans la pratique (voir figure 1). Avec ce modèle il devient alors possible de faire une estimation confiante avec moins de 40 % d’erreur. Exemple concret : un projet de lay-out estimé à 10 jours de travail avec cette méthode aura une très forte probabilité (90 %) de demander, en réalité, entre 7 et 14 jours de travail. Etant donné la distribution log-normale de l’erreur d’estimation, la précision paraît raisonnablement bonne.
Le modèle s’écrit sous la forme
Les coefficients a, b et c ont été obtenus par le biais d’une régression multi-variable, non-linéaire.
Comme l’indique son intervalle de confiance, le modèle ci-dessus proposé par [1] donne des résultats d’estimation tout à fait cohérents et utiles. Toutefois, il m’a été possible d’obtenir une précision sensiblement supérieure avec le modèle ci-dessous, à l’aide d’une simple régression linéaire sur les trois variables en question. Comme on peut le constater, le nombre de composants passifs a été remplacé par le nombre de composants de tous types confondus, ce qui semble être une grandeur plus pertinente pour la plupart des designs actuels.
Le modèle d’estimation proposé par [1] sous la forme générique ci-dessus est fortement appuyé sur les capacités des méthodes d’analyse numérique en termes de régression statistique. Outre la définition préliminaire des rapports de densité de composants et de broches, la recherche de la meilleure correspondance entre l’estimation et la réalité est avant tout mathématique. Un modèle similaire sera proposé par la suite mais sous une forme différente qui, par hypothèse, décrit plus précisément les mécanismes en jeu. Cela va permettre d’obtenir une estimation plus fiable, une fois les techniques de régression statistique appliquées.
Sous cette forme, le nombre de broches est considéré et pondéré comme la contribution fondamentale au temps de lay-out. Comme mentionné dans mon article précédent, ce paramètre exprime approximativement le « volume » du design.
Les deux autres paramètres, densité de composants et celle de connexions, expriment quant à eux le « degré de difficulté » du lay-out. Pour cette raison, ces paramètres prennent la forme de facteurs multiplicatifs normalisés, modulant par ses contributions respectives l’impact du paramètre fondamental.
Il est généralement admis qu’un taux inférieur à 50% d’occupation de surface par les composants ressort du domaine de faible densité ; cela signifie que l’influence de ce paramètre, dans ces cas, est négligeable. Entre 50 % et 90 % environ, la difficulté supplémentaire croît de manière sensiblement linéaire. Selon Carl Schattke2, concepteur hautement expérimenté avec plus de 1300 projets de lay-out accomplis, une limite supérieure raisonnable pour les techniques de routage classiques se situe autour de 70 à 80 %. Passé 90 %, le travail de routage requiert généralement une expertise particulière et des techniques HDI poussées.
La densité de connexions (et celle de « nets ») est supposée proportionnelle à la densité de routes de la carte finie, exprimée en cm par cm2 (ou toute autre unité de longueur équivalente). Ce paramètre est calculé sur la surface totale cumulée des couches disponibles, sans compter la (ou les) face(s) d’assemblage.
À titre d’exemple, une densité de connexions moyenne de 5 cm/cm2 sur une couche de routage donnée correspond à un routage relativement dense dans le cas d’une technologie de fabrication classique. Des densités de l’ordre de 10 cm/cm2 se situent déjà dans le domaine des technologies HDI3. Ce paramètre permet de prendre en compte l’impact du choix du nombre de couches sur la difficulté de routage. Et ainsi, de mieux quantifier le compromis classique entre gain de temps de conception grâce au routage sur des couches supplémentaires d’une part et le coût de fabrication supplémentaire associé à ce confort d’autre part. A noter : fréquemment, le choix du nombre de couches est principalement régi par d’autres contraintes électriques que la densité de connexions.
La plupart des paramètres nécessaires peuvent être extraits directement d’Altium grâce au panneau Properties, comme pour les modèles précédents.
Le seul paramètre manquant est la surface totale occupée par les composants. Cette donnée peut être obtenue à l’aide du programme Altium Estimator4 mis au point par Steve Hageman5. Les instructions pour utiliser l’outil sont détaillées dans la note d’application [5] citée dans la bibliographie.
Ce troisième niveau de modélisation a le potentiel de fournir des estimations plus précises que le modèle précédent, sans pour autant être beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Une fois les paramètres du design extraits, le calcul de l’estimation est rapide. Seule condition : connaître au préalable une approximation du facteur de performance de votre flux de travail, comme pour les deux autres modèles présentés précédemment.
Indépendamment de la méthode choisie, que vous optiez pour le modèle le plus complet possible ou un simple estimateur en ligne (dont la méthode de calcul peut être totalement inconnue), la connaissance du temps passé sur des projets déjà terminés est idéale pour étalonner, affiner et évaluer vos estimations. Or, aussi précises soient-elles, ces estimations ne pourront pas véritablement améliorer le facteur de performance. C’est davantage le rôle des avancées techniques régulières des outils de CAO et la montée continue en compétence de l’utilisateur.
Ces quelques outils d’estimations raisonnablement précises restent à la portée de tous. Bien qu’imparfaites, ces méthodes permettent de confronter la voix de notre expérience et les estimations « à vue de nez » avec des prédictions concrètes et quantifiables. Car, quand il s’agit de se rapporter au temps, le cerveau humain nous joue bien souvent des tours…
[1] Bazeghi, Cyrus et Reneau, Jose : Printed Circuit Board Layout Time Estimation. Workshop on Complexity-Effective Design, Boston, Massachusetts, 18 juin 2006. Disponible sur : https://users.soe.ucsc.edu/~renau/docs/wced06.pdf (20 décembre 2019)
[2] Seeley, Max et Schattke, Carl : Schematic to PCB Design: Passing the Baton Like a Champion. AltiumLive 2019, Francfort, 23 octobre 2019.
[3] Holden, Happy et Pfeil, Charles : Eight key HDI design principles. Circuit World, volume 37, numéro 3, 2011. Disponible sur : https://www.emerald.com/insight/publication/issn/0305-6120/vol/37/iss/3 (20 décembre 2019)
[4] Hageman, Steve : PCB Estimator sur AnalogHome. Disponible sur : http://www.analoghome.com/articles/pcb_estimator.html (20 décembre 2019)
[5] Hageman, Steve : A Program for PCB Estimation with Altium Designer. AnalogHome, 2011. Disponible sur : http://www.analoghome.com/articles/AN003_Altium_Estimator.pdf (20 décembre 2019)