Gestion de la « supply chain » et anticipation de ses écueils

Nicolas Patin
|  Créé: Mai 17, 2019  |  Mise à jour: Avril 17, 2020

1.    Contexte

La conception d’une carte électronique consiste avant toute chose à répondre à un besoin, à assurer une fonction. On cherche généralement à atteindre cet objectif le plus simplement possible afin de :

  • réduire la taille du produit,

  • diminuer sa consommation,

  • autoriser des évolutions ultérieures (avec des composants programmables notamment),

  • réduire le temps de développement,

  • et plus généralement réduire les coûts de conception et/ou de fabrication.

Sur ces derniers points, la réutilisation de fonctions déjà mises en œuvre par le passé est une approche très courante qui se heurte néanmoins à quelques difficultés.

2.    Gestion de l’obsolescence…

En premier lieu, il faut rester attentif au cycle de vie des composants envisagés dans un nouveau produit. Ainsi, les indications « New »  et « Active » sur le site du fabricant permettent a priori de se lancer sereinement dans une conception alors que les mentions « Not recommended for new designs » ou pire « Obsolete » doivent appeler à la prudence.

Dans le dernier cas, la décision d’abandonner le composant est sans appel à moins de vouloir faire la fortune de distributeurs spécialisés dans cette catégorie de produits en fin de vie et dont les stocks s’épuisent inexorablement.

Quant à la mention « Not recommended for new designs », elle doit susciter une réflexion quant au choix initial : en effet, même si le composant est toujours en production, cela signifie que d’autres solutions, plus performantes ou moins chères existent dans le catalogue du fabricant. Il s’agit davantage d’un encouragement de ce dernier à réorienter ses clients vers de nouveaux produits disponibles à son catalogue afin de gérer « en douceur » la fin de vie d’autres composants.

Même si ce travail fait partie intégrante du métier d’un ingénieur en électronique, il peut arriver de se retrouver dans la situation où une carte finalisée ne puisse pas être assemblée en totalité à cause d’un obscure composant obsolète (un circuit logique par exemple) dont on ne s’est pas donné la peine de vérifier la disponibilité. Bien évidemment, cette situation est frustrante mais aussi cause de retards, de surcoûts et donc de pénalités (tant en interne que vis-à-vis d’un client)…

Dans le cas d’un nouveau développement, un concepteur expérimenté ne commettra normalement pas cette erreur. Par contre, cette tâche ne doit pas non plus être négligée durant le cycle de vie du produit, conçu parfois plusieurs années auparavant. En cela, un outil adapté tel que ActiveBOM (associé au « Supplier Link » de chaque composant) peut être d’un grand secours. Il permet d’automatiser cette tâche fastidieuse et de minimiser les risques d’erreur ou d’oubli, potentiellement coûteux en cas de détection tardive au lancement d’une production de nouvelles unités. Cet outil implique simplement la création d’un fichier .BomDoc dans le projet actif et dont la fonction est d’exposer de manière dynamique la liste des composants (Bill Of Material) de la carte ainsi développée.

La mise à jour des données associées à chaque composant s’effectue ensuite simplement à l’aide du bouton « Refresh » en haut de page. Les renseignements évoqués précédemment sont exposés alors dans la colonne « Manufacturer lifecycle 1 » avec les possibilités suivantes :

  • Unknown (en blanc) : donnée indisponible,

  • Volume production (en vert) : composant en production (tout va bien),

  • NRFND (en orange) : Not recommended for new design (utilisable avec les réserves indiquées précédemment),

  • Obsolete ou End of life (en rouge) : composant qui n’est plus fabriqué mais avec des stocks éventuellement encore disponibles.

Figure 1. Liste de composants avec les informations des distributeurs via ActiveBOM

Pour ce faire, il convient d’associer à chaque composant (dans une bibliothèque de symboles .SchLib) un « lien fournisseur » (supplier link) comme illustré à la figure 2. La recherche peut s’effectuer soit avec la référence du fabricant (ici LT6655-5) soit avec une référence particulière d’un distributeur suivant le conditionnement souhaité (e.g. bande coupée, bobine sur mesure ou bobine complète).

Figure 2. Ajout d’un « supplier link » à un composant d’une bibliothèque de symboles

3.    …Mais aussi des pénuries

Comme on l’a vu à la figure 1, la liste des composants du projet peut être dressée dans un fichier ActiveBOM. Ces composants étant liés à une base de données en ligne, on peut alors voir un certain nombre d’informations supplémentaires parmi lesquelles :

  • Le prix

  • Le conditionnement

  • Le stock (en comparaison avec le nombre requis pour le projet considéré)

On peut alors évoquer une deuxième problématique après l’obsolescence des composants : le risque de rupture de stocks. Cette difficulté ne doit pas être négligée, notamment avec l’exemple récent des condensateurs en céramique (MLCC) pour lesquels existe une pénurie mondiale pouvant entraîner jusqu’à un an de délai sur certaines références [1]. Une vue d’ensemble des fournisseurs est alors accessible en cliquant sur le nom du composant sélectionné dans le tableau (lien hypertexte vers le site octopart.com comme illustré à la figure 3).

Figure 3. Lien entre ActiveBOM et le site octopart.com

La tension sur l’approvisionnement en composants peut être facilement prise en compte en ayant une vue d’ensemble sur les stocks de divers fournisseurs mais aussi en pouvant aisément rechercher des références compatibles (figure 4). Pour cela, on peut ajouter manuellement depuis le document ActiveBOM (.BomDoc) des solutions alternatives à une référence particulière : il s’agit alors d’effectuer une recherche par mots-clés (par exemple « MLCC 330pF ») pour se voir proposer de nouveaux composants équivalents parmi une liste de distributeurs et de fabricants.

Figure 4. Recherche d’équivalences de composants

4.    Gestion régionale des stocks de certains distributeurs

Un dernier point utile à aborder à propos de cet outil réside dans sa faculté à sélectionner un pays et une monnaie pour l’évaluation des coûts. Bien évidemment, l’aspect coût est important mais la localisation géographique apporte également une plus-value loin d’être anecdotique. En effet, certains distributeurs tels que Farnell disposent de stocks par région et il n’est pas rare d’être confronté au fait que dans notre propre zone géographique, une référence soit disponible sans penser qu’il ne le soit pas dans une autre région du monde. Ainsi, la non-prise en compte de ce problème peut être source de retard de production dans le cas où la commande des composants est laissée à l’assembleur. Désigner la zone géographique du sous-traitant dans l’application permet facilement d’éviter ce problème comme illustré à la figure 5.

 
Figure 5. Configuration du moteur de recherche et illustration de la régionalisation des stocks chez Farnell
 

Comme on peut le voir à la figure 5 dans le cas de la société Farnell/Element14, les stocks sont effectivement gérés de manière régionale avec l’exemple d’un composant (LTC6655) dont les stocks diffèrent entre les sites français et australien du vendeur.

L’approvisionnement doit donc être pensé en fonction de l’option choisie pour l’achat des composants et pour l’usine d’assemblage. En effet, l’assemblage peut être :

  • soit effectué sur un site délocalisé à partir de composants fournis par le donneur d’ordre dans sa propre région et donc avec les stocks locaux du distributeur,

  • soit avec des composants achetés directement par la société en charge de l’assemblage, auquel cas il faut s’assurer de la disponibilité dans la zone géographique de celle-ci.

5.    Composants unifiés et Cloud

Un aspect important de ce travail réside dans le fait que l’approche classique des outils de CAO électroniques propose une vue morcelée du travail (librairies de symboles, librairies d’empreintes physiques, édition de schémas, édition de circuits imprimés, fichiers de fabrication, fichiers de placement de composants, liste de composants, …). Altium Designer présente non seulement tous ces aspects sous une seule interface mais il tend à fusionner, notamment dans les bibliothèques de composants toutes les facettes que sont la partie schéma et les empreintes physiques (y compris les modèles 3D des composants) mais cela inclut l’aspect Supply Chain et cela est encore plus vrai avec les Vaults qui sont des outils particulièrement utiles pour un travail collaboratif. C’est d’ailleurs sur ce point que la plus-value du cloud est la plus forte car, si disposer de bibliothèques de composants hébergés sur un serveur sous forme d’une base de données permet le partage entre plusieurs collaborateurs, elle permet aussi d’interfacer très naturellement ces données avec l’écosystème que constitue l’ensemble des distributeurs de composants électroniques à travers le monde.

6.    Pour conclure

Tous les outils présentés ici permettent de décharger le concepteur (et/ou le service des achats de l’entreprise) de tâches fastidieuses pouvant être sources d’erreurs et, du fait des ressources en ligne disponibles, s’automatisant de manière très efficace à l’heure actuelle.

Cela permet alors de se focaliser sur d’autres éléments stratégiques où l’analyse humaine reste indispensable tels que l’identifications des éléments critiques d’un projet en terme de dépendance vis-à-vis de certains fabricants/fournisseurs.

Références

[1] The global MLCC shortage in 2018: What are your options?, https://www.avnet.com/wps/portal/abacus/solutions/technologies/passive/capacitors/the-global-mlcc-shortage/

A propos de l'auteur

A propos de l'auteur

Nicolas Patin a obtenu en 2006 un doctorat en électronique, électrotechnique et automatique de l’école normale supérieure de Cachan. Il est depuis septembre 2007 maître de conférences à l’université de technologie de Compiègne (UTC) où il enseigne l’électronique et plus particulièrement l’électronique de puissance au sein de la formation d’ingénieur au sein d’une filière Mécatronique Actionneurs, Robotisation et Systèmes (MARS). Il mène en parallèle des recherches en électronique de puissance et plus précisément sur les stratégies de modulation appliquées aux convertisseurs statiques et à leur impact sur le vieillissement des condensateurs de découplage (aluminium électrolytiques).

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